Cette série "Poetic Brewers" est extraite d'un workshop avec Laura Henno lors des rencontres d'Arles 2019. Les prises de vues ont été réalisées à la Brasserie Artisanale d'Arles.
« Qu'est-ce que le poème?
Je le conçois comme un objet, quelque part entre une boîte de résonance et une boîte noire. Là, le registre de tout ce qui s'est passé dans une vie trouve son miroir dans les mots prononcés, …, une « expérience" que chacun est appelé à s'approprier.
Ce chacun est le lecteur: et cet « hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère" (Baudelaire) est aussi, tout d'abord, le poète lui même, condamné à se séparer du poème dès qu'il vient d'être terminé.
Je dis cela pour éviter l'équivoque entre l'expérience du poème et l'expérience du poète (auteur). Pour que le poème existe, il doit se séparer de tout ce qui peut conditionner son intériorisation, de tout ce qui peut le réduire à un document biographique, à un morceau de journal.
Le poème doit produire son interprétation, ses sens, ses origines, même si dans ce processus il s'éloigne définitivement de cette réalité où le poète a dû puiser pour l'écrire. Dans chaque poème, c'est le poète qui est «tué ", en tant qu'être réel - symboliquement, bien sûr: il s'agit de la mort de cette « présence réelle ", pour donner lieu à une « présence virtuelle ". C'est cette présence-ci que le lecteur cherche dans sa lecture.
La poésie est, peut-être, cette part d'irrationnel, ce "coup de dés" de Mallarmé derrière lequel il y a l'émotion, le sentiment, le désir, tous ces éléments de l'anima qui échappent à la raison et au prévisible et qui ont pour résultat cet « éclair, puis la nuit" dont parle Baudelaire.
Aujourd'hui, la tendance va dans le sens inverse. La poésie devient une partie du quotidien, un commentaire, une confidence, une petite musique qu'on oublie facilement. Surtout, pas de sens, pas d'introspection, pas de risque.Tout le contraire de ce qu'est cette poésie que j'ai apprise pendant mon enfance, dans ce pays gris et immobile où tout se passait dans une clandestinité faite d'ombres et de chuchotements. C'est pour ça que, dans ma poésie, le cirque et les foires sont devenus un des seuls espaces de liberté et de création. Je me souviens, dans ces foires de village, des équilibristes qui, une fois par an, nous montraient la frontière fragile entre l'équilibre et la chute. À chaque poème, je cherche cet équilibre - quand j 'avance dans le vers, et dans la strophe, l'abîme est toujours là. J'aime cette sensation. Et si le lecteur m'accompagne, en soutenant sa respiration jusqu'à la fin du poème, c'est que quelque chose fonctionne dans ce rapport de forces qu'est la poésie, entre moi et le poème, entre le poème et le lecteur. » Nuno Júdice, 2004
Ici dans cette poésie photographique, libre de voir du Roméo et Juliette, de la mythologie au travers de Vénus et de l'imaginaire au travers de Narcisse et bien d'autres...